Sous le signe de la tension : Savoir reconnaître un Riesling d’Alsace

12 juin 2025

Par où commence le Riesling ?

Très tôt, dès la sortie de la gare de Strasbourg ou perdus au détour d’un virage entre deux collines du Haut-Rhin, le Riesling d’Alsace apparaît comme une promesse, une vibration. Mais qu’a-t-il donc de si particulier, ce cépage que même les vignerons allemands nous envient ? Comment le démasquer, dans un verre servi à l’aveugle ou lors d’une balade dans les vignes ? Reconnaître un Riesling d’Alsace, c’est faire un voyage sensoriel — c’est sentir, goûter, observer, questionner. Entre minéralité, droiture et élégance, voici les sentiers qui mènent à lui.

Une mosaïque de terroirs : le Riesling entre Vosges et Rhin

On oublie parfois que l’Alsace, c’est moins un pays qu’une mosaïque géologique. Du granit du Brand à Turckheim, aux schistes bleus du Kastelberg à Andlau, chaque mètre carré livre ses secrets au cépage roi. Le Riesling, très majoritaire parmi les cépages blancs alsaciens avec plus de 21 % des surfaces plantées (source : CIVA, Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace), est l’un des rares raisins à exprimer si fidèlement le sol dont il provient.

  • Sur granite ou grès : les Rieslings sont plus vifs, ciselés, le fruit se fait discret, la trame saline ressort.
  • Sur calcaire ou argile : il gagne en ampleur, délivrant des parfums plus larges, parfois une touche de fruits à chair jaune.
  • Sur schistes ou marnes : la minéralité se densifie, l’acidité se fait droite, tranchante, précise.

Ce jeu de matières rend chaque Riesling alsacien unique, même si un fil conducteur demeure : la tension.

Regarder : la robe du Riesling, miroir de sa jeunesse

Première étape de la reconnaissance, l’œil. Un Riesling d’Alsace jeune affiche souvent une robe limpide, jaune pâle à reflets verts. Cette teinte, quasi cristalline, évoque à elle seule la fraîcheur. Toutefois, lorsqu’il vieillit — et il vieillit souvent magnifiquement pendant 10, 15, voire 30 ans, selon les millésimes et les terroirs (Guide Hachette des Vins) — sa robe prend des accents dorés, légèrement ambrés.

  • Un Riesling sec et récent : jaune très clair, brillante transparence.
  • Un Riesling plus mature : nuances dorées, reflets ambre subtils.

Une robe trop jaune soutenu sur un vin jeune trahira généralement un autre cépage, voire une toute autre provenance.

Sentir : le nez sans fard du Riesling alsacien

Le Riesling n’est pas du genre tapageur. Contrairement au Gewurztraminer, il ne tombe jamais dans la démonstration aromatique envoûtante. Son registre olfactif est un livre en plusieurs chapitres, qui s’épaissit à mesure de l’oxygénation :

  • Arômes primaires : notes franches d’agrumes — citron frais, zestes de pamplemousse, parfois le yuzu. Des touches de fleurs blanches ou d’aubépine s’invitent discrètement.
  • Nuances minérales : une sensation de pierre à fusil, de craie mouillée, voire une note légère de pétrole (hydrocarbure) que l’on perçoit surtout sur de belles bouteilles vieillies. Cette "note pétrolée", loin d’être un défaut, est même recherchée chez les amateurs et signe l’authenticité du cépage.
  • Évolution : avec l’âge, des arômes de coing, de cire, de miel léger, et toujours une fine minéralité qui persiste.

Une anecdote ? Le professeur Denis Dubourdieu, œnologue bordelais reconnu, consacrait volontiers le Riesling comme l’un des trois plus grands cépages blancs au monde pour la complexité de son bouquet et sa capacité à transcrire le sol (La Revue du vin de France).

Goûter : la bouche, entre droiture et longueur

Au moment de la dégustation, la première gorgée de Riesling claque souvent comme une vague fraîche. Mais derrière l’acidité, une subtilité s’installe :

  • Équilibre acide : C’est le marqueur principal du Riesling alsacien. L’acidité tendue, fine, traverse la bouche de bout en bout, sans mièvrerie.
  • Sec ou légèrement tendre ? 95% des Rieslings d’Alsace revendiquent aujourd’hui la sécheresse (CIVA). Quelques rares cuvées s’autorisent un très léger sucre résiduel, surtout lors de millésimes solaires. Les cuvées Grand Cru et Vendanges Tardives, quant à elles, s’ouvrent parfois à de nobles sucres, sans jamais perdre leur structure acide.
  • Finale minérale : Après l’attaque fruitée, la bouche s’étire sur une longueur saline, vaguement poivrée, voire sur de subtils amers d’écorce.

Cette tension fait du Riesling d’Alsace un vin de gastronomie mais aussi de grand vieillissement. Il n’est pas rare de croiser des bouteilles de 20 ou 30 ans qui brillent d’une jeunesse insolente.

Distinguer Riesling d’Alsace et Riesling allemand

Le Riesling est né dans la vallée du Rhin, partagé entre la France et l’Allemagne. Pourtant, l’Alsace y imprime sa propre patte :

  • Sec, presque toujours : à l’opposé de nombreux Rieslings allemands du Rhin moyen, souvent demi-secs ou doux (Kabinett, Spätlese…), ceux d’Alsace misent sur la sécheresse et la fermeté.
  • Style aromatique : alors que les Rieslings allemands évoquent fréquemment la pomme, la pêche blanche, des fleurs un peu confites, ceux d’Alsace sont plus "droits", centrés sur les agrumes et la minéralité.

Un soulignement : le rendement moyen alsacien (près de 82 hl/ha en 2023 selon l’INAO) est nettement supérieur aux pratiques des grands crus allemands, ce qui amplifie cette différence de style, même si de plus en plus de domaines alsaciens s’orientent vers des pratiques parcellaires et des rendements plus limités pour gagner en complexité.

Reconnaître le Riesling à table : allié universel… ou presque

Si l’Alsace accorde volontiers son Riesling à la choucroute — cliché dont il faut parfois se garder ! — ce cépage se révèle en réalité caméléon gastronomique. On le reconnaît facilement à table par son incroyable capacité à s’accorder :

  • Fruits de mer et crustacés : huîtres iodées, langoustines, tartares de poissons… La tension citronnée du Riesling fait des merveilles.
  • Plats exotiques : cuisine thaï à base de citronnelle, ceviche, sushi, où son acidité contrebalance subtilement l’umami et le gras.
  • Fromages : munster ou même fromages de chèvre cendrés, où le Riesling fait preuve d’une rare polyvalence.

Comme le disait André Ostertag, grand vigneron d’Epfig, "le Riesling n’est jamais là pour séduire, mais pour éveiller le palais".

Labels, mentions, indices : repérer le Riesling d’Alsace sur l’étiquette

Si le cépage est toujours mentionné sur la bouteille en Alsace — exception française ! — plusieurs facteurs vous aideront à raffiner votre identification :

  • AOC Alsace ou Alsace Grand Cru : Les deux garantissent l’origine, mais il faut savoir que les 51 Grands Crus d’Alsace n’autorisent que quatre cépages nobles, dont le Riesling.
  • Mentions "Vendanges Tardives" ou "Sélection de Grains Nobles" : Signe d’un Riesling issu de raisins en surmaturité, souvent plus aromatique, parfois liquoreux.
  • Indice de sucrosité : Depuis 2012, un système volontaire d’indication ("sec", "sec tendre", "moelleux", "doux") aide le consommateur, face à l’ambiguïté persistante sur le degré de résiduel.

Attention : le goût "sec" a fait son retour en force ces dix dernières années, porté par le vœu des vignerons (cf. Mouvement "Riesling Sec", CIVA) de valoriser la pureté du cépage.

Petites histoires et grandes maisons

Un Riesling d’Alsace, ce n’est pas qu’une carte d’identité technique. C’est un morceau de paysage, une histoire de famille aussi. Certains noms résonnent comme des figures tutélaires de la région : Trimbach, Hugel, Zind-Humbrecht, Weinbach, Ostertag, mais aussi une nouvelle génération qui s’affirme sur des micro-parcelles bio ou en biodynamie.

Saviez-vous que la parcelle du "Clos Sainte Hune", cultivée depuis plus de deux siècles sur 1,67 hectare à Hunawihr, produit l’un des vins blancs les plus recherchés et les plus chers de France ? À titre d’exemple, un Riesling Clos Sainte Hune se négociait en 2023 entre 180 et 300€ la bouteille (source : Idealwine).

À l’autre bout du spectre, il n’est pas rare de trouver d’excellents Rieslings d’Alsace, droits et purs, dès 10 à 15 € chez des vignerons indépendants moins célèbres, pour peu que l’on cherche des vins d’artisan au détour d’une cave.

Un cépage, mille nuances : le plaisir de la reconnaissance

Reconnaître un Riesling d’Alsace n’est pas affaire d’examen savant ou de formules toutes faites. C’est un exercice sensible où se mêlent attention et émerveillement, un jeu d’équilibre entre minéralité, pureté et gourmandise contenue. On apprend à l’identifier comme on apprivoise un paysage : à force de promenades, de rencontres et de verres partagés.

Observer la robe cristalline, guetter le nez tendu, goûter la fraîcheur vibrante et mémoriser la finale minérale — voilà les sentiers qui mènent au Riesling, roi des blancs alsaciens. Et si un jour, dans un bistrot ou une cave, le doute subsiste encore, il suffit souvent de lever le nez, de s’attarder, et de laisser le vin parler… Car un grand Riesling d’Alsace ne se livre jamais tout entier au premier regard, mais il ne trompe jamais longtemps celui qui écoute.