Explorer la hiérarchie des appellations en Bourgogne : un voyage dans l’âme des terroirs

6 août 2025

L’invention d’une hiérarchie : histoire et raison d’être

La hiérarchie des appellations en Bourgogne n’est pas née d’un caprice administratif, mais d’une lente construction où la nature et l’homme se sont mêlés — lignées de moines copistes dès le Moyen Âge, familles vigneronnes attachées à leur lopin ou négociants visionnaires. Dès le IX siècle, les moines de Cluny font l’inventaire précis de la terre ; au fil du temps, on distingue chaque parcelle à la fois par son exposition, son sol (argilo-calcaire, marne, sable), et la main qui le façonne.

C’est pour préserver ce morcellement, source de richesse mais aussi de complexité, que la Bourgogne a créé son système à quatre niveaux, officialisé avec les premières Appellations d’Origine Contrôlée (AOC) au XX siècle (loi de 1935).

  • Environ 84 appellations d’origine contrôlée (AOC) couvrent l’ensemble de la Bourgogne, soit près de 25% de toutes les AOC françaises (Source : BIVB – Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne).
  • Le monopole mondial du terme « climat » — reconnu par l’UNESCO en 2015 pour l’exception de ce découpage parcellaire.
  • Surface : près de 29 500 hectares plantés (source : BIVB 2023).

Un système à quatre étages pour saisir l’essence du terroir

La spécificité bourguignonne : la pyramide des appellations. Ici, pas de confusion possible, le niveau de l’appellation dit presque tout du vin.

1. L’appellation régionale : la Bourguignonne en bottes

  • Représentent 51% de la production totale.
  • Étiquetées simplement Bourgogne (ex : Bourgogne Pinot Noir, Bourgogne Aligoté), elles peuvent porter le nom d’un cépage ou d’une tradition (comme le Bourgogne Passe-tout-grains).
  • Leur aire de production englobe tout ou partie de la région viticole, de Chablis jusqu’au Mâconnais, selon l’appellation, sur 384 communes.
  • Elles offrent une introduction accessible, souvent sur le fruit, fidèle à l’idée d’un vin de partage au profil simple mais expressif.

2. L’appellation communale : l’identité d’un village

  • 37% de la production.
  • Porte le nom de la commune (ex : Gevrey-Chambertin, Pommard, Meursault).
  • Existent en 44 appellations communales.
  • Le vin exprime le terroir d’un village précis, ses sols, son climat local ; c’est la première marche vers la typicité d’un lieu.

3. Les Premiers Crus : la précision de la parcelle

  • Environ 10% de la production.
  • Près de 640 climats classés en Premier Cru, signalés sur l’étiquette (ex : Puligny-Montrachet 1er Cru Les Folatières).
  • Souvent issus de parcelles bénéficiant d’un sol, d’un microclimat ou d’une exposition privilégiés, sans atteindre le sommet du classement.
  • Le nom du climat suit celui du village, la mention « Premier Cru » est obligatoire.

4. Les Grands Crus : le nec plus ultra de la Bourgogne

  • Seulement 1% de la production, mais qui font vibrer le cœur des amateurs du monde entier.
  • 33 Grands Crus reconnus, répartis sur 1,5% de la surface totale, essentiellement entre la Côte de Nuits et la Côte de Beaune (ex : Romanée-Conti, Montrachet, Clos de Vougeot).
  • Le nom du Grand Cru se suffit à lui-même sur l’étiquette, sans mention du village.
  • Chaque Grand Cru est un climat unique, au rayonnement planétaire et au prix souvent stratosphérique.

Entre ces quatre étages, c’est la précision presque géologique qui fait la valeur. Chaque niveau, du plus large au plus fin, raconte une nuance de la Bourgogne.

Climat, lieu-dit, parcelle : le vocabulaire du détail

En Bourgogne, le mot « climat » ne désigne pas la météo, mais un territoire délimité, minutieusement inventorié, cultivé et nommé depuis des siècles. On en compte plus de 1247 (source : BIVB). Chacun porte son nom propre, référence historique, hommage à la géographie ou à la légende locale : Les Amoureuses, La Tâche, Les Cailles…

  • Climat : plus petit découpage, désignant une parcelle viticole, souvent entourée de murets ou marquée par une tradition séculaire.
  • Lieu-dit : souvent synonyme de climat, mais parfois plus vaste ou partagé entre plusieurs propriétaires sans qualité particulière reconnue.
  • Un climat classé Premier Cru ou Grand Cru peut être divisé entre des dizaines de propriétaires, du fait de l’héritage en vigueur depuis la Révolution française — on parle de « morcellement ».

Entre science et tradition : qu’est-ce qui justifie ces classements ?

La hiérarchie bourguignonne repose sur la patience de l’observation, non sur le prestige d’une cave. Plusieurs facteurs gouvernent l’attribution de chaque niveau :

  • Nature du sol et sous-sol : épaisseur calcaire, argile, drainage, minéralité…
  • Exposition et altitude : évolution de la maturité selon le soleil ou la fraîcheur matinale (les meilleures parcelles sont classiquement « mi-coteaux »).
  • Microclimat : variations parfois sur quelques dizaines de mètres.
  • Ancienneté de la réputation : nombre d’actes notariés, citations historiques, îlots jugés meilleurs depuis le Moyen Âge.
  • Pratiques humaines : mode de conduite, choix des clones, densité des plantations — autant d’empreintes laissées sur le vin.

Ce système fut consolidé par le travail patient des géologues, des vignerons et de l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité), sans oublier l’expérience dégustative de générations entières. La reconnaissance des climats au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2015 vient sacrer cette somme scientifique et culturelle.

Démêler les étiquettes : conseils pour s’y retrouver

Face à un rayon ou une carte des vins, la rigidité du classement peut parfois dérouter. Quelques pistes pour s’y retrouver sans se perdre :

  1. Regarder l’intitulé : Plus l’appellation est précise (village, 1 Cru, Grand Cru), plus le vin est censé refléter un terroir spécifique. À l’inverse, un Bourgogne générique sera fidèle à une mosaïque plus large.
  2. Observer la mention du climat : Pour les Premiers et Grands Crus, le nom du climat figure sur l’étiquette.
  3. Identifier le producteur : La multiplication des propriétaires (près de 3 800 domaines exploités, source BIVB) induit une diversité de styles, même sur une même parcelle.
  4. Ne pas sous-estimer les villages : Certaines appellations communales, boudées dans le passé, rivalisent en qualité avec des Premiers Crus (ex : Marsannay ou Fixin), surtout en belles années.
  5. Privilégier le millésime : La météo influence énormément la Bourgogne ; années froides (ex : 2010, 2014) donnent des vins plus tendus, les années solaires (ex : 2009, 2018) plus ronds et généreux.

Quelques chiffres et anecdotes à raconter au détour d’une route

  • Le record du monde : le flacon le plus cher jamais vendu à l'unité l’a été pour une bouteille de Romanée-Conti 1945 : plus de 482 000 € aux enchères (Sotheby’s, New York, 2018).
  • La Bourgogne ne pèse que 4% du vignoble français mais réalise près de 15% de la valeur à l’export (source : FranceAgriMer).
  • La parcelle de Grand Cru la plus grande : Clos de Vougeot, avec 50,9 hectares, morcelé entre plus de 80 propriétaires.
  • La plus petite : La Romanée, 0,845 hectare (seulement une propriété !).
  • Avant la Révolution, certains climats — comme Montrachet — étaient déjà référencés dans les livres de comptes des ducs de Bourgogne, témoignant de leur prestige historique.
  • Chaque année, près de 200 millions de bouteilles sont produites en Bourgogne, mais seulement 30% restent sur le marché français (source : BIVB).

Pourquoi cette hiérarchie fascine : forces et fragilités d’un modèle unique

Si la hiérarchie bourguignonne a inspiré d’autres régions françaises, aucune n’a poussé aussi loin l'art de la précision. Cette cartographie fine a plusieurs conséquences :

  • Rareté totale : l’éclatement des parcelles fait que certains producteurs ne possèdent que quelques rangées de vignes dans un climat mythique.
  • Effets de collection : les amateurs recherchent la bouteille d’un producteur sur tel climat, tel millésime — la Bourgogne a développé un culte du détail, voire de « l’infidélité heureuse » (changer de producteur pour explorer toutes les facettes d’un lieu).
  • Fragilité économique : les prix montent vite pour certains lieux, poussant de jeunes vignerons vers des appellations modestes, où la créativité est plus libre.
  • Dynamisme et transmission : chaque nouvelle génération redécouvre et parfois redéfinit la hiérarchie, veillant à maintenir la magie d’un système où chaque micro-terroir s’exprime différemment.

Pour aller plus loin : explorer la Bourgogne avec la carte et les sens

La Bourgogne invite à prendre son temps, à prendre la carte IGN autant que le verre. Osez parcourir les villages, débusquer les petits producteurs, goûter les différences à l’aveugle. Derrière chaque appellation, il y a non seulement une histoire, mais aussi la main d’un artisan — parfois confiante, parfois hésitante, toujours passionnée.

Quelques ressources pour approfondir :

S’aventurer dans la hiérarchie bourguignonne, c’est apprendre à lire la France par couches successives, comme on feuillette un manuscrit ancien où chaque page porte la trace d’un millésime, d’un geste, d’une émotion à découvrir.