Bourgogne à deux voix : comprendre les différences entre Côte de Nuits et Côte de Beaune

25 août 2025

Deux territoires jumeaux, mais jamais identiques

La Côte de Nuits et la Côte de Beaune forment la Côte d’Or – une fine bande de coteaux exposés à l’est, façonnée par les siècles, l’érosion, et la main obstinée de générations de vignerons. Séparées administrativement par la petite ville éponyme de Beaune, elles s’étirent ainsi :

  • Côte de Nuits : de Marsannay-la-Côte à Corgoloin (environ 20 km).
  • Côte de Beaune : de Ladoix-Serrigny à Santenay (environ 25 km).

Mais la géographie, ici, se conjugue avec la géologie, l’histoire, le climat et l’ambition humaine. Si les villages, la lumière et même les odeurs de terre diffèrent tant, c’est parce que chaque détail compte dans la fabrique du vin. Rien n’est laissé au hasard, et la carte ici, n’est jamais le territoire entier.

Terroirs et sols : sous vos pieds, des mondes cachés

La Bourgogne toute entière aime se raconter par ses climats, ces parcelles minutieusement délimitées qui font la force de la région (reconnue au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2015). Mais entre Nuits et Beaune, le sous-sol raconte déjà une autre histoire.

La Côte de Nuits : la force du calcaire

  • Le calcaire bajocien prédomine, typique du Jurassique moyen (entre 170 et 160 millions d’années).
  • Sols caillouteux, pauvres, qui drainent vite et forcent la vigne à s’enraciner profondément.
  • Quelques bandes d’argile rougeâtre, responsables d’une concentration et d’une puissance caractéristiques.

Sur les appellations reines (Gevrey-Chambertin, Vosne-Romanée, Chambolle-Musigny…), le pinot noir se gorge de ces terres maigres pour donner des vins d’une intensité et d’une longévité rares.

La Côte de Beaune : la diversité comme signature

  • Le calcaire oolithique, riche en fossiles, se mélange plus fréquemment avec des argiles, des marnes blanches et des grès.
  • Les sols sont plus variés, parfois plus profonds, parfois plus lourds, idéaux pour exprimer toute la palette du chardonnay – mais aussi des rouges plus soyeux.

Se déplacer de Meursault à Corton, c’est traverser une mosaïque de sols, d’expositions, de microclimats : cette variété transparaît dans des vins qui ne se ressemblent jamais tout à fait, même à quelques dizaines de mètres de distance.

Climat, relief et lumière : le temps fait la différence

La côte, à première vue uniforme, ne l’est pas tant. L’altitude varie de 200 à 400 mètres environ. Cela paraît peu, mais la vigne en ressent chaque nuance. L’exposition, presque toujours à l’est ou sud-est, protège du vent d’ouest et du gel, et capte une lumière douce, propice à la lenteur de maturation. Toutefois :

  • Côte de Nuits : le climat est légèrement plus frais et humide, la maturité est parfois plus longue à atteindre, surtout au nord (vers Marsannay).
  • Côte de Beaune : plus au sud, le climat se fait subtilement plus chaud et sec, avantageant le chardonnay pour sa finesse et ses arômes plus ouverts.

Le réchauffement climatique vient bousculer ces équilibres : selon les relevés de Météo France, la température moyenne a augmenté d’environ 1,3°C en Bourgogne sur les 60 dernières années, modifiant peu à peu les équilibres de maturité, la date des vendanges, l’alcool potentiel. Cette évolution pousse les vignerons à repenser l’emplacement et la taille de certaines parcelles (sources : BIVB, Le Monde, INRAE).

Cépages et styles de vin : l’évidence des rouges, la surprise des blancs

La Bourgogne ne fait guère dans la profusion de cépages : le pinot noir règne en maître pour les rouges, le chardonnay pour les blancs. Mais la répartition entre Nuits et Beaune fait d’abord toute la différence.

Côte de Nuits : territoire du pinot noir

  • 95 % de la production en rouge, essentiellement pinot noir (Source : Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne)
  • Quelques rares blancs de chardonnay ou pinot blanc (comme le Vougeot blanc, moins de 2 ha !), mais ils restent confidentiels.

Voilà le royaume des grands rouges, réputés pour leur profondeur, leur potentiel de garde exceptionnel, leur bouquet complexe : fruits noirs, épices, notes truffées, parfois violette ou rose fanée… Les plus célèbres domaines – Domaine de la Romanée-Conti, Domaine Armand Rousseau, Domaine Leroy…– y façonnent certains des vins les plus chers au monde.

Côte de Beaune : la grande diversité

  • Environ 60 % de blancs (chardonnay surtout), 40 % de rouges (pinot noir)
  • Des noms mythiques côté blancs : Meursault, Puligny-Montrachet, Chassagne-Montrachet, Corton-Charlemagne.
  • Une production de rouges d’une élégance unique : Beaune, Pommard, Volnay, Corton…

Ici, la palette aromatique explose : des blancs souvent amples, gras et minéraux, conjuguant fleurs blanches, noisette, agrumes, notes beurrées parfois ; des rouges plus souples, mais puissants dans leur jeunesse (Pommard), suaves à maturité (Volnay), racés sur les Corton.

Hiérarchie des appellations : un jeu de parcelles sans équivalent

La Bourgogne fonctionne avec une hiérarchie à faire tourner la tête : près de 100 appellations (AOC/AOP) en Côte d’Or, dont 32 Grands Crus pour la totalité de la région, l’immense majorité en Côte de Nuits et Côte de Beaune.

Quelques chiffres évocateurs

Zone Surface totale (ha) Grands Crus Crus / Premiers Crus Principaux styles
Côte de Nuits 3200 24 (tous en rouge sauf Musigny) 41 Rouge puissant
Côte de Beaune 5600 8 (blancs et rouges) 42 Blanc ample, rouge élégant

Une anecdote qui en dit long : alors que la Côte de Nuits ne couvre qu’un tiers de la surface viticole de Côte d’Or, elle concentre près de 80 % des Grands Crus rouges. À l’inverse, les plus grands crus blancs (Corton-Charlemagne, Montrachet…) s’ancrent dans le sud, à Beaune et au-delà.

L’histoire, la société et les visages de la vigne

Les villages de la Côte de Nuits respirent les maisons de vin séculaires, les clos entourés de murs, les domaines historiques où se jouent les héritages familiaux, parfois disputés sur plusieurs générations (pensons au feuilleton du Clos de Tart ou aux acquisitions récentes de grands groupes). À Beaune, la ville vibre autour de la tradition des Hospices, des caves voûtées, du cuivre des halles et des chapitres de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Les propriétés sont souvent plus petites sur la Côte de Nuits, car la transmission par partage familial a fragmenté les climats, tandis qu’en Côte de Beaune subsistent quelques exploitations de taille plus confortable.

  • Le prix moyen d’un hectare en Côte de Nuits pour un Grand Cru : plus de 6,25 millions d’euros (données SAFER 2021)
  • En Côte de Beaune : jusqu’à 2,5 millions pour les crus les mieux cotés

Ici, comme nulle part ailleurs, les vins sont aussi le reflet d’une société paysanne, patiente et rusée, où chaque goutte matérialise une mémoire, une révolution ou une catastrophe : la crise du phylloxéra, le morcellement napoléonien, la création du négoce, l’émancipation récente des jeunes vigneronnes… La Bourgogne vibre aussi d’un formidable réseau de caves coopératives, où la solidarité remplace parfois la notoriété.

Parfums, textures et plaisir en bouche : ce que raconte chaque verre

Les dégustateurs avertis aiment comparer les deux régions en utilisant des mots presque tactiles. Voici ce que l’on entend souvent :

  • Côte de Nuits : des rouges profonds, charpentés, tanniques, au bouquet de cerise noire, cassis, cuir, fleurs séchées, truffe. La bouche est souvent corsée, droite, prometteuse de longues années en cave.
  • Côte de Beaune : les rouges sont plus soyeux, fruités (framboise, griotte, fraise des bois), parfois plus immédiatement séduisants dans leur jeunesse. Les blancs conjuguent le miel, le beurre frais, l’aubépine, la poire, la minéralité d’un ruisseau sur les galets.

Les plus grands dégustateurs – de Jancis Robinson à Jacky Rigaux – rappellent pourtant que toute généralisation cache des exceptions, et que le plaisir ne se mesure pas à la grandeur de l’étiquette. Goûter la Bourgogne, c’est accepter d’être surpris, parfois dérouté, toujours ému.

Quand visiter, quoi goûter, où flâner ?

  • La Côte de Nuits offre ses plus beaux paysages au lever du soleil, la brume montant des combes. Les caves de Nuits-Saint-Georges, le Clos de Vougeot, les ruelles silencieuses de Vosne-Romanée…
  • La Côte de Beaune s’ouvre aux marchés bariolés, aux caves hospitalières, aux randonnées de Santenay à Pernand-Vergelesses, à la lumière mordorée sur Meursault en fin d’après-midi.

Les meilleures périodes ? De mai à juillet pour la vigne fleurie. En septembre pour l’effervescence des vendanges. Mais en vérité, en Bourgogne, chaque saison a son secret.

D’un côteau à l’autre, la Bourgogne ne se livre qu’aux curieux

Entre la rigueur minérale de la Côte de Nuits et la gourmandise éclatante de la Côte de Beaune, la Bourgogne avance à pas feutrés, patinée de brumes et de patience. Ce qui différencie ces deux soeurs, c’est moins la recette que l’histoire, moins le prestige que la diversité d’artisans qui refusent le générique. Leur dualité, loin de séparer, invite à l’exploration : celle des routes secondaires, des petits domaines, des bouteilles sans grade mais au charme fou. Chacun y puisera ce qu’il cherche – la mémoire d’un terroir, le parfum d’un sous-bois, l’éclat d’un matin – si tant est que l’on sache perdre le temps dans les vignes.

Sources : BIVB (Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne), UNESCO, SAFER, Météo France, INRAE, Le Monde, La Revue du Vin de France, Jancis Robinson, Jacky Rigaux.