L’éclosion d’un terroir : Les Climats de Bourgogne à la conquête de l’UNESCO

12 août 2025

Le paysage bourguignon, un puzzle vivant

Dès qu’on parcourt la Côte d’Or, quelque chose frappe l’œil, presque instinctivement. À perte de vue ou sur les pentes les plus discrètes, la vigne façonne la terre en une infinité de parcelles, morcelées, chacune protégée par ses murets, son cadastre, ses nuances de sol. Ces parcelles, dans les villages entre Dijon et Santenay – Gevrey-Chambertin, Vosne-Romanée, Meursault –, portent le nom de Climats. Ici, le mot fait bien plus que nommer un micro-terroir : il exprime une personnalité, une histoire, et le travail de la main humaine qui a sculpté ce paysage depuis plus de 2 000 ans.

Les Climats de Bourgogne, ce ne sont pas de simples parcelles de vignes. Ce sont autant de noms, d’étiquettes, d’histoires que l’on retrouve sur les bouteilles et dans la mémoire collective : « Clos de Vougeot », « La Tâche », « Les Amoureuses », « Corton-Charlemagne »… Près de 1 247 Climats jalonnent la côte, chacun délimité au mètre près. L’UNESCO le souligne : il n’existe pas ailleurs au monde un tel degré de fine segmentation associée à la culture viticole (UNESCO).

Qu’est-ce qu’un Climat ? Singularité bourguignonne

Le Climat, au sens bourguignon, se distingue de la notion de terroir employée ailleurs. Il ne s’agit pas seulement du type de sol ou de l’exposition, mais d’une entité culturelle et historique précise : chaque Climat est défini depuis des siècles, enregistré sur des cadastres, reconnu par la tradition orale autant que par la loi.

  • Un Climat, c’est une parcelle de vigne, avec une identité propre, un nom, et une histoire.
  • Sa délimitation date parfois de l’époque gallo-romaine ou médiévale.
  • Chaque Climat possède ses propres conditions géologiques (calcaire, argile, marnes), exposition au soleil, microclimat et méthodes culturales figées par la tradition locale.

Le modèle des Climats, inspiré par les rangs monastiques (notamment les Cisterciens au XII siècle) puis consacré par la Révolution et le cadastre napoléonien, a posé les fondations de l’appellation contrôlée française. En Bourgogne, le vin se raconte et se goûte toujours au fil du Climat, du « lieu-dit », bien plus qu’au fil de la commune ou du cépage.

L’épopée d’une reconnaissance : le chemin vers l’UNESCO

Comment cette mosaïque de parcelles s’est-elle hissée jusque sous les feux de la scène mondiale ?

  • Plus de 10 ans de mobilisation collective. Dès 2006, l’Association pour l’Inscription des Climats de Bourgogne au Patrimoine Mondial rassemble vignerons, collectivités, associations culturelles, scientifiques et élus.
  • Le dossier est déposé une première fois en 2011, puis affiné et consolidé suite à de nombreuses évaluations et recommandations de l’ICOMOS (International Council on Monuments and Sites).
  • Le 4 juillet 2015 à Bonn, les Climats de Bourgogne obtiennent officiellement leur inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Cette victoire s’explique par un travail documenté : 2 100 pages de dossier, des centaines de cartes et plans cadastraux, plusieurs campagnes de photographie et inventaires patrimoniaux. Au total, 1 247 Climats couvrant 1 649 hectares sont inscrits, accompagnés de la ville de Beaune et du centre historique de Dijon, soit un ensemble couvrant 60 km de côte et 24 communes.

Une portée qui n’est pas purement viticole : les Climats racontent autant le savoir-faire paysan, l’architecture (murs, cabottes, clos), que le long dialogue entre nature et culture.

Pourquoi l’UNESCO a-t-elle été séduite ?

Aux yeux de l’UNESCO, il ne suffit pas d’avoir du bon vin ou un paysage harmonieux. Il faut démontrer ce que l’organisation désigne comme « valeur universelle exceptionnelle ». Les Climats de Bourgogne l’ont prouvé sur trois axes majeurs (UNESCO, Mon-Viti) :

  1. Un modèle de viticulture parcellaire unique au monde. Nulle part ailleurs l’homme n’a autant respecté, sanctuarisé chaque unité de terroir.
  2. La transmission d’un savoir-faire collectif sur deux millénaires. Les Climats témoignent du génie quotidien et discret de milliers de familles, de l’ingéniosité des moines, de la ténacité de générations de vignerons.
  3. Un paysage culturel façonné à la main. Les pierres sèches, cabottes (petites cabanes de vigneron), clos, chemins en lanière : tout, ici, n’existe qu’en relation avec la vigne et ceux qui la cultivent. Ce n’est pas « une » Bourgogne, mais une somme de milliers d’univers.

Au-delà de la technique, l’UNESCO a reconnu le rôle identitaire des Climats : l’idée que l’âme d’un vin naît de la terre, mais aussi de la mémoire et des gestes répétés. Dans le monde, c’est le premier site UNESCO à être inscrit pour ce type de « paysage culturel viticole délimité et vivant ».

Dates-clés et anecdotes marquantes

  • Le concept de Climat apparaît pour la première fois dans un écrit officiel en 1343, dans un acte de donation du duc de Bourgogne (source : Archives de la Côte-d’Or).
  • 1855 : à l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris, le classement des vins de Bourgogne par Climats fait figure de précurseur, inspirant les grands crus bordelais.
  • Les cabottes, cabanes circulaires typiques, servaient de refuges aux vignerons pour s’abriter de la pluie ou du soleil : on en dénombre encore une centaine en activité.
  • Chaque Climat a une histoire qui dépasse parfois la vigne : « Les Amoureuses », célèbre Climat de Chambolle-Musigny, tiendrait son nom d’anciens amants villageois qui s’y retrouvaient loin des regards (source : L’Express, 2015).

Les enjeux de cette inscription

Le classement UNESCO n’est pas un simple honneur honorifique. Il impose des responsabilités, pose des questions pour le futur.

Préserver, transmettre : des défis concrets

  • Préservation du paysage et de la biodiversité : Les viticulteurs s’engagent à limiter les constructions neuves, à réhabiliter les cabottes et murs en pierres sèches, à revégétaliser les fossés et talus. Cette dynamique a permis la restauration de plus de 7 000 mètres de murets depuis 2015 (source : Association des Climats de Bourgogne).
  • Gestion des flux touristiques : La fréquentation du site a progressé de 30 % entre 2015 et 2023 (Source : Office de Tourisme de Beaune)… un défi pour l’équilibre entre ouverture et quiétude des lieux.
  • Éducation et transmission : Un centre d’interprétation a vu le jour à Beaune, proposant ateliers, conférences, balades pour transmettre l’histoire des Climats aux nouvelles générations.

La dynamique économique

L’inscription a stimulé une économie de proximité : créations d’emplois dans l’accueil, la restauration des patrimoines bâtis, le tourisme. Le chiffre d'affaires du tourisme viticole local est passé de 60 à 100 millions d’euros entre 2015 et 2022 (source : France Bleu Bourgogne).

Les Climats, cœur sensible de la Bourgogne

Il n’est pas nécessaire d’avoir un diplôme d’œnologie ou de connaître le nom de tous les crus pour ressentir la magie des Climats. Marcher sur les chemins bordés de murs secs, respirer l’odeur des ceps chauffés par le soleil, écouter le bruissement des pampres dans la brise… Cela raconte autant que les plus prestigieuses dégustations.

En 2018, les écoles primaires de la Côte d’Or ont intégré un programme pédagogique sur l’histoire du vin et des Climats, afin que la transmission reste vivante (source : Rectorat de Dijon). Chaque habitant, chaque vigneron, chaque promeneur participe à entretenir ce vivant patrimoine.

Avec leur inscription à l’UNESCO, les Climats de Bourgogne rappellent qu’une simple vigne, travaillée avec respect et amour, peut devenir un monument. Ni musée, ni relique : un lieu de vie à jamais ouvert à ceux qui, le temps d’un verre ou d’une balade, veulent ressentir l’éternité d’une parcelle française.